La pratique du bain au Japon découle de l’esprit shintoïste et tient une place essentielle dans la vie quotidienne. Cette philosophie ancestrale, présente bien avant l’arrivée du bouddhisme, dirige tous les domaines de la vie au Japon. Le bain aurait alors son origine dans un rituel de purification par l’eau en relation avec le culte Shinto: avant d’entrer dans un temple, il convient de se purifier.
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La pratique répandue du bain en pleine nature tient également à une donnée géographique: le Japon est une île entourée d’eau, dont le coeur est constitué d’un entrelacs de zones de montagnes et de terre volcanique, desservie par une grande quantité de sources naturelles d’eau chaude. Très vite, la religion a adopté ce que la nature avait offert aux hommes.
Les rituels de purification et les habitudes de propreté remontent aussi loin que le IIIe siècle. Ces sources d’eau chaude étaient d’abord des lieux préservés, près desquels un temple était érigé. Progressivement, elles sont devenues des lieux accessibles à la population. La plupart sont devenues de véritables établissements de bains, aménagés et entretenus selon des règles très précises. Les seuls matériaux d’usage sont la pierre et le bois. L’eau des onsen étant d’origine volcanique, elle est riche en minéraux, notamment en souffre, qui outre les différentes vertus thérapeutiques qui lui sont attribuées, donne au bain une odeur très particulière, et ce d’autant plus si celui-ci est en bois.
Le onsen classique comporte un bain extérieur où l’eau atteint jusqu’à 42 degrés Celsius, des vestiaires séparés pour les hommes et les femmes, des douches où l’on procède au savonnage rigoureux du corps et du rinçage, des espaces de repos et de restauration. Au vestiaire, on se dévêt pour enfiler un yukata et deux serviettes: une grande que l’on laissera au vestiaire pour se sécher en sortant du bain, une petite que l’on emporte avec soi. Celle-ci se nouera autour de la taille ou servira à s’essuyer sommairement. On passe par les douches, munies de cuvettes et de tabourets où l’on procède au savonnage rigoureux du corps et du rinçage. Puis on s’immerge dans le bain chaud extérieur et on goûte, en communion totale avec la nature, à ce moment de béatitude. Le paysage doit ravir l’esprit. L’environnement du bain est décoré de bois, de pierres ainsi que d’autres éléments naturels comme des fougères et des chutes d’eau. Le linge, le savon et le shampoing sont fournis. Les onsens sont devenus des lieux de séjour et sont souvent complétés par des auberges de luxe, les ryokans.
Zone de lavage. kusuyama.jp
Avec l’urbanisation croissante, les onsen ne pouvaient répondre à la passion du bain des Japonais. L’arrivée du bouddhisme, ne dissociant pas la propreté physique de celle de l’esprit, la pratique du bain a trouvé sa place dans cette nouvelle religion. L’hiver étant glacé et les habitations très peu chauffées, les bains publics, dits sento, sont apparus comme des lieux où les citadins pouvaient se réchauffer et accomplir ces rituels.
Minatoyu, Tokyo.1010.or.jp.e.aaac.hpf.transer.com
Ces établissements sont alors laïcisés et de plus en plus populaires. Ils deviennent des lieux de loisirs, de convivialité où toute la population urbaine pouvait s’y retrouver, nue, sans distinction de classes. L’arrivée des salles de bain domestiques et les coûts d’entretien a porté un rude coût à ces établissements en déclin au Japon.
Le culte du bain reste néanmoins central dans les habitations. Le furo, reprend le même matériel: un robinet d’eau, un petit tabouret, un baquet pour les premières ablutions et une baignoire profonde où se plonger pour la détente. La baignoire est suffisamment longue pour que le baigneur y soit totalement allongé et dotée d’un couvercle pour garder l’eau chaude. La salle de bain est entièrement en bois, y compris la baignoire et tous les accessoires de lavage. La propreté du corps est donc liée aux ablutions préalables et le bain, est le moment qui procure la détente et lave l’esprit. Il n’est pas question d’entrer sale dans son bain ni de s’y laver. Le bain est pris en fin de journée et l’eau restée propre pourra y accueillir d’abord le maître de maison puis son épouse, puis les enfants. Le baigneur se plonge dans l’eau très chaude après un moment d’euphorie, sort et revêt le yukata. La taille de la baignoire est calculée pour que l’on soit assis jusqu’au menton et dans un juste volume d’eau afin que l’on flotte légèrement sans toutefois remonter. Dans l’habitat traditionnel, la baignoire se trouvait dans un bâtiment séparé de la maison et donnant sur un petit jardin que l’on pouvait contempler de son bain. Le furo traditionnel n’est pas seulement la baignoire mais un espace entier mis en scène avec précision, des matériaux, du sol, des murs de l’éclairage et du chauffage de l’eau.
L’architecture japonaise se base sur le principe de la construction d’espaces d’où le monde peut être vu. La construction des espaces de bain n’échappe pas à cette règle et cela, particulièrement dans les bains en zone urbanisée. On s’attachera alors à reconstituer un paysage miniature, clairement délimité de l’espace du bain, et constitué d’éléments naturels tels que la mousse, les roches, des pins miniatures et bassins de pierre naturelle. Le baigneur pourra alors se projeter dans ce décor de collines, forêt et rivière depuis son bain.
Même dans les sento urbains, on conserve ce lien avec la vue sur la nature. inari-yu mt. fuji
Les bains les plus rustiques, à l’écart des villes, sont constitués par des formes variables de granit, créant des petites piscines de tailles et de formes diverses, s’enchaînant afin de suggérer l’écoulement d’un ruisseau. La nuit, seules quelques lanternes placées à quelques endroits du jardin environnant, éclairent l’espace du bain. Cette économie d’éclairage permet de créer une harmonie entre le monde intérieur et extérieur.
La tradition du bain est maintenue et elle conserve aussi sa valeur éducative car elle enseigne un art du calme et un comportement correct par rapport aux autres. Au Japon, on considère que les mauvaises pensées se fixent sur le corps comme des mauvaises odeurs, tout au long de la vie, et peuvent disparaître facilement grâce à un bain quotidien. L’objectif du bain reste le même: il ne s’agit plus de se débarrasser simplement des souillures du monde matériel mais de se purifier l’âme et l’esprit afin que le corps soit en parfaite harmonie avec les forces de la nature. C’est pourquoi, quel que soit leur emplacement, en ville, en nature ou à la maison, l’aménagement du bain répond aux mêmes règles et cela afin de favoriser la communication entre le monde extérieur et le monde intérieur.