Peut-être que vous n'avez jamais entendu parlé des termes « wabi-sabi ». Ou peut-être alors, dans les dernières tendances déco au style épuré. Le wabi-sabi est surtout connu comme référence esthétique japonisante. Cependant, il est si subtil et sa beauté si délicate qu'on pourrait écrire des pages et des pages à son sujet sans jamais parvenir à clairement le décrire. Ce courant désigne une certaine beauté, celle qui se révèle dans les objets simples, dans les choses impermanentes et fragiles. Au delà des formes d'art auxquelles ils s'applique, il implique aussi un état d'esprit et un comportement particulier envers le monde. Tout comme le spa nous fait du bien au corps, l'esprit du wabi-sabi peut nous faire du bien à la tête. Il indique un comportement enclin au détachement, à la légèreté, au lâcher prise et à la bienveillance envers ce monde, une attitude que nous oublions souvent d'avoir envers nous-même.
La beauté là où on l’attend le moins ...
Un concept indéfinissable
La wabi-sabi est un principe qui alimente l'esthétique japonaise, mais il est aussi une philosophie, un mode vie, une éthique. Forgé par l'esprit du bouddhisme zen, il est en effet un concept si difficile à expliquer et pourtant, si simple à la fois. Le wabi-sabi ne s’enferme pas dans une définition. Il relève d'une émotion associée à l'impermanence, à la fragilité des choses du monde. Il est un doux sentiment de mélancolie, suscité par la vue d'un arbre dénudé, d'un objet terni par le temps. Il se révèle dans les couleurs de l'automne, l'éphémère passage du printemps, dans l'état de disparition progressive des éléments en devenir, évoluant entre naissance et mort. C’est une sensation, une énergie provoquée par l’observation d'une beauté insaisissable.
Reflet d'un pin sur les murs d'un temple de Kyoto. Photo Marie Renier.
Historique
Ce concept esthétique se développe à partir du 15e siècle dans la société japonaise afin de contrer les tendances d’un mouvement artistique venu de Chine, louant la perfection des formes, la brillance et l’éclat des matières. D’abord limité aux traditions de la cérémonie du thé, il s’est étendu à l’art floral, la calligraphie, le chant, la danse. Il prône la simplicité, le recours à des objets confectionnés par des artistes de proximité, des rituels se déroulant dans des espaces rustiques, peu éclairés, éphémères.
Les deux termes renvoient à des notions différentes et ils ont été rapprochés au 15e siècle pour finalement désigner une seule et même réalité. « Wabi » désignant la solitude, la déprime et « sabi », ce qui est abîmé. Au cours du temps, cette simplicité et ce dénuement ont pris un sens poétique pour former un fondement spirituel et esthétique : voir dans la pauvreté, la saleté, la tristesse, la laideur, un éclat de beauté, un état des choses dont il faut s'accommoder. Ainsi, il désigne une beauté née de l’association de contraires : une lueur dans l’obscurité, un élément au cœur du vide, un détail dans l’abstraction, une distorsion dans un univers parfait.
Cette expression, utilisée couramment aujourd’hui pour décrire des tendances déco, un style de vie minimaliste, un design épuré, est en fait peu utilisée par les Japonais. Pourtant, le wabi-sabi reste sous-jacent à toutes les formes d'art japonaises.
Au delà de l'esthétique, un mode vie
L'esprit du wabi-sabi s’applique aux créations, aux objets, aux lieux, mais il est aussi une inspiration pour un mode vie. Contraire aux normes de production, à la rationalité, au modernisme, au contrôle, aux calculs et à la standardisation, il célèbre la beauté des choses imparfaites, impermanentes, incomplètes et en mouvement. Il implique une vie simple, dénuée de superflu et un état d'esprit d'acceptation. Il voit la beauté dans toute chose, sans jugement, même lorsqu'elles sont soumises aux forces de la nature, à la vieillesse, à l’usure, aux changements de saison. Il fait appel à une compréhension intuitive du monde et non à l'analyse intellectuelle.
Une expérience personnelle
Le Sento Spa est un lieu qui se prête parfaitement à l’expérience du wabi-sabi. Dans ce lieu hors du temps, faites le vide et laissez l’univers vous parler….
Le wabi-sabi s’impose à l’observateur, il peut surgir à chaque instant : dans la couleur du bois des poutres supportant le pavillon au-dessus de votre tête, dans l’épaisseur de mousse recouvrant les roches du jardin, dans les épaisseurs inégales des petits carreaux de la vieille maison centenaire. Il s’installe et fait son lit au cours des années qui passent et se présente à qui voudra bien de lui.
Observez l'usure des matériaux
Dans l 'univers du wabi-sabi, il y a une acceptation que les choses évoluent et sont impermanentes. La frontière entre le monde matériel et non-matériel n’est pas fixée. En effet, les êtres comme les objets peuvent accéder à la mort, au non-être. Le bois change de forme, la pierre prend de nouvelles teintes. Les matériaux acquièrent de nouvelles qualités avec le temps, s'embellissent, avant de disparaître par la putréfaction.
Contemplez l’imperfection des formes naturelles
La perfection n’existe pas. L’artisanat, comme les éléments de la nature, peut présenter des formes tordues, asymétriques.
Acceptez que les choses sont incomplètes
Comme toute chose dans le monde, la nature est en perpétuel mouvement et évolution. Selon les saisons, les arbres se dénudent, reverdissent, mais la végétation n'atteint jamais son aboutissement complet.
La beauté se trouve dans les détails
Le wabi-sabi se révèle dans l’instant, dans le moment où surgit une ombre au passage d’un nuage, une feuille lors d’un coup de vent. La beauté n’est pas monumentale et évidente. Elle se révèle en une seconde et peut même surgir de la laideur, de ce que l’on aurait tendance à ne pas regarder. Les lieux imprégnés de l’esprit wabi-sabi sont intimes, propices à la rêverie et la contemplation. On doit pouvoir y observer des détails, des objets particuliers.
Simplicité et absence de superflu
Les choses simples, non encombrées, sont plus belles car leur particularité est plus évidente. Le wabi-sabi se révèle dans des objets ou des formes simples, petites, sans prétention et sans monumentalité.
Une philosophie, un état d’esprit
Au-delà des formes matérielles et de la beauté de l’instant, le wabi-sabi peut devenir un état d’esprit : la prise de conscience de notre propre impermanence, de notre véritable condition d’individu seul face à lui-même, de l’importance de rester ouvert aux événements imprévus et de s’y adapter.
Alors une journée au spa, passée à contempler les feuilles tomber des arbres au tronc tordu, les nuances de couleurs des pavillons en bois, la tourelle surplombant la maison, vous permettra peut-être de trouver un écho avec votre propre être.
Si cette finesse est bel et bien proprement japonaise, elle peut interpeler quiconque et s'appliquer à n'importe quelle autre forme d'art.
Sources :
Leonard Koren, Wabi-sabi à l'usage des artistes, designers, poètes et philosophes, Paris, Sully, 2015
Serge Salat et Françoise Labbé, Créateurs du Japon, Le Pont flottant des songes, Paris, Hermann, 1986.
Junichirō Tanizaki, Éloge de l'ombre, traduit du japonais par René Sieffert, Cergy, Publications orientalistes de France, 1977.